LA JUSTICE DES RESEAUX SOCIAUX, CE POISON QUI TUE LA SOCIETE
"De nos jours, chacun a l'âme d'un procureur qui juge depuis son salon sans rien savoir des attendus de l'affaire."
La justice est aujourd'hui sur les réseaux sociaux. On y voit des juges auto-proclamés prononcer des sentences, des "procureurs" en herbe argumenter des réquisitoires sur l'actualité juridique ou politique, Des "avocats" de fortune scander "Libérez -le" sans plaidoierie. Des accusés poster des convocations reçues .ou en quête des soutiens, des parties antagonistes s'empoigner sur le net.
. Ainsi, les réseaux sociaux offrent une liberté inédite d'expression et de partage, en même temps qu'un modèle horizontal de débat et d'organisation, qui les font ressembler d'assez près à cet espace public égalitaire de discussion dont Habermas faisait la condition d'une véritable démocratie.
Seulement la justice peut-elle résister aux tentations de cet espace d'expression libre, immédiate, potentiellement anonyme, et qui tend à exaspérer les émotions au détriment de la réflexion ?
Car on voit aussi bien des juristes « inachevés » qui citent des articles des lois pêle-mêle, les juristes les plus outillés qui se livrent à des cours de droits, Comme tout nouvel outil, les réseaux sociaux engendrent de mauvais usages, en particulier par leur logique de réduction du temps de réflexion.
La justice des réseaux sociaux est, il faut le dire, l'un des pires travers de notre époque. Sur la publication d'un post, par le biais d'une déclaration tonitruante, en utilisant à tort et à travers les réseaux sociaux, voilà qu'on détruit l'honneur et la réputation d'une personne sans que cette dernière puisse en réchapper. En deux, trois mouvements, elle est livrée à la vindicte populaire: sans aucune autre forme de procès, on la juge, on la condamne, on la traite comme la dernière des pourritures et on l'assassine avec le sourire satisfait du bourreau persuadé d'avoir accompli là une tâche hautement nécessaire. C'est l'arme à la fois parfaite et cynique qu'utilisent les prétendus politiques contre leurs adversaires les plus détestés.
Dans cette appétence à vouloir absolument voir le sang couler, on juge sans discernement. Aveuglé par sa soif de justice, sur la foi de vagues déclarations prises au pied de la lettre sans même se soucier une seule seconde de leur degré de véracité, on piétine la présomption d'innocence et, sûr de son bon droit, avec l'aplomb de celui qui sait tout, on en vient à fracasser des existences entières: la justice a passé, l'accusé est défait, le bon peuple peut dormir tranquille; le puissant est à terre et ne se relèvera pas de sitôt.
La justice des réseaux sociaux ne recherche pas la vérité, elle veut juste que des têtes tombent et ce à n'importe quel prix. Elle vocifère pour mieux intimider; elle est un monstre à plusieurs têtes qui n'admet pas qu'on lui résiste et, inquisitrice, elle s'en va clouer au pilori celui dont elle se fait fort de régler son compte. Elle n'a aucun goût pour l'infinie complexité des passions humaines. Pour elle, les choses sont soit blanches, soit noires. Elle ne cherche pas à comprendre, juste à dire une sentence qui doit avoir l'éclat sanglant de la vérité.
Chacun, de nos jours, a l'âme d'un procureur. De son salon, sans rien savoir du fond de l'affaire hormis quelques détails livrés à la va-vite, sur la foi de déclarations partisanes, on se fait déjà une opinion et fort de son droit d'ouvrir grande sa gueule, on assène des vérités qui résonnent comme des condamnations à mort. Sur les réseaux sociaux, on passe directement de l'acte d'accusation à l'échafaud et quand des têtes tardent à tomber, on maudit la justice, ce vieux garçon maniaque qui vérifie bien tout avant de se décider à prononcer un jugement.
Et la question qui taraude l'esprit est celle-ci : la justice doit-elle participer aux débats sur les buts souhaitables de la société ? La force de la justice n'est-elle pas au contraire de protéger un ordre établi et de séparer les espaces, et en particulier l'espace institutionnel, l'espace public, l'espace privé ?
Si elle a vocation à être débattue, peut-elle se permettre d'être juge et partie, au risque de se perdre dans le tourbillon des controverses ?
La justice, colonne vertébrale de notre société, doit donc s'adapter à cette nouvelle dimension du vivre ensemble, et parfois s'en protéger. S'adapter à un univers qui met tout sur le même pied, et où l'institution n'a donc pas l'avantage d'un espace propre, supérieur ou en tout cas séparé.
Mais aussi se protéger d'un monde où l'on discute de tout, n'importe comment et avec n'importe qui, où l'immédiat domine l'émotion et un certain sentiment d'impunité.
La mission de la justice étant de défendre l'ordre établi, il y a paradoxe à la jeter dans l'arène de ceux qui en débattent et à la soumettre aux tentations de l'enfreindre impunément.
La justice ne lit pas le droit sous les coups d'émotion qui se diffusent sur les réseaux sociaux mais dans une grille d'éthique propre à elle de manière impitoyable et rationnelle réduisant ainsi tout le monde au même pied d'égalité selon son dicton " nul n'est censé ignorer la loi".
Passi, PK
PK NEWS