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PKNEWS
4 juin 2016

LA VRAIE RUPTURE PASSE PAR LE CITOYEN RESPONSABLE !

TOUADERA PRESIDENT

Depuis un certain temps, certains popularisent l’utilisation du mot "rupture" dans le cadre de luttes de chapelle auxquelles ils se livrent. Pour eux, rupture signifie : vider le grenier pour le remplir par de nouvelles semences ou implicitement « jeter le bébé avec l’eau du bain ». Cet emploi abusif du terme pose le problème de définition, de ce que nous entendons par « rupture » et nous conduit à nous demander si son interprétation conceptuelle ne diffère pas  selon le contexte. La définition académique considère que le terme "rupture"désigne le fait de se "rompre " l'action par laquelle une chose est rompue. Il exprime également la séparation brutale en deux ou plusieurs morceaux d'une chose résistante, sous l'effet d'une force trop intense ou d'un effort prolongé. Il signifie également s'exclure d'une certaine pratique jugée vile, inopportune ou désobligeante. Cette définition initiale devrait faire place à une réflexion conceptuelle plus profonde selon les contextes où le terme doit être utilisé avec plus de précision. Il est aussi à préciser que la notion de "rupture" peut concerner deux ou plusieurs personnes en lien avec une coutume, une pratique, une moeurs ou une situation donnée. 

Qu'en est-il de ce terme dans le contexte centrafricain? Doit-on parler de la rupture sur le plan politique? De la rupture sur le plan sociétal, civique ou patriotique ? Ou pour un meilleur usage, il faut parler de tous ces volets. C'est une préoccupation majeure. Il ne suffit pas de se contenter d'un seul aspect pour parler d'une "rupture" dans le cas centrafricain.

La  vraie « rupture » implique la responsabilité individuelle

Il ne suffit pas d’être humain pour être humain, puisqu’on peut l’être de manière inhumaine. C'est aussi dire qu'il ne suffit pas non plus d’être centrafricain pour être centrafricain, on peut l’être de manière irresponsable. Dès lors la question de la « rupture » renvoie à la notion de responsabilité de tout un chacun. La responsabilité,  n’est-elle pas simplement celle d’être sujet de ce qui peut nous être imputé, mais celle d’être sujet pour une éventualité qui s’impose à nous. De ce point de vue, la responsabilité n’est pas ce qu’on peut attribuer au sujet pour dire qu’il est humain, quelque chose qui l’exprimerait en tant qu’humain, mais ce qu’on doit lui imputer – ce dont on doit encore reconnaître qu’il est responsable. Est humain en effet ce sujet pour qui être sujet est non pas sa nature ou sa condition mais sa responsabilité, dont par là même il fera son humanité – celui qui sera en somme non pas sujet, mais sujet d’être sujet. Du coup, c’est à ce point que la notion de la responsabilité a son sens : non seulement on n’est responsable qu’à la condition que personne ne réponde pour nous de ce qu’on a fait et de ce qu’on n’a pas fait, mais encore on ne l’est qu’à la condition que rien ne vienne parer à l’impossibilité de la substitution. 

C’est pourquoi, il y a lieu de se poser des questions : Comment faire entendre le terme « rupture » dans le contexte d’une société en crise comme la nôtre ? À quoi appelle-t-elle ?

La vraie « rupture » trouve son sens dans la citoyenneté

 Pour Mo Ibrahim : « il n’y a pas de fatalité africaine. Même des individus de qualité et une terre prometteuse ne font pas nécessairement des pays prospères s’il manque un ingrédient crucial : une gouvernance de qualité et des citoyens responsables. C’est là-dessus qu’il faut nous concentrer». Comme il l'a si bien dit, le leadership et la citoyenneté consistent à prendre des risques et à faire des choix. Alors, quels risques prendrons-nous, sachant que « qui ne risque rien n’a rien » ? J’en nomme ici trois :

Premièrement, nous ne devons plus continuer à loger uniquement  le « mal centrafricain » dans la sphère politique

La majorité des compatriotes croient que c’est le changement de personnes qui fait développer un pays. Pourtant, plus ça change, plus c’est pareil. Le changement de personnes ne suffit pas, ce sont les mentalités qu’il va falloir convertir. Et nous voilà dans la sphère de l’imaginaire culturel, civique ou patriotique. Toute tentative d’évolution est vouée à l’échec si elle n’entre pas progressivement dans les pratiques de nos valeurs. En clair, lorsqu’un changement n’intègre pas la conversion du cœur, des habitudes et de nos manières de faire, c’est comme si on balayait une chambre toutes fenêtres fermées. Il va de soi que la poussière, au lieu d’être évacuée, s’agrègera dans la pièce. L’enjeu ici est de prendre des risques de se faire violence pour faire évoluer les mentalités afin de devenir des citoyens responsables. C'est ce que veut nous signifier Mo Ibrahim dans son assertion. 


Deuxièmement, nous sommes pris dans une tendance à vivre dans un mode de vie de plus en plus irresponsable.

 A cela, on peut associer la propension au repli défensif : chacun ou chaque groupe cherche à se préserver des agressions possibles pour protéger ses intérêts égoïstes, risquant alors de se désengager de la plupart des responsabilités sociétales. En effet, les appels à contribution désertent souvent l’espace centrafricain. C’est la communauté internationale qui s’en charge et privilégie l’attitude du « ne bougez pas, nous nous chargeons du tout » au risque d’infantiliser ceux à qui elle s’adresse et de provoquer en retour la fureur des clients qui ne sont pas vite servis. D’où la stupeur de constater que nous sommes tous figés dans cette posture de critiquer ceux qui ne répondent pas vite à nos attentes, même les plus infantilisantes.

Par rapport à ce genre de difficultés, le recours à des principes éthiques, à des valeurs civiques pose parfois des problèmes de rupture avec nous-mêmes. Par exemple, beaucoup ont crié aux loups quand il y a eu une prétendue corruption à l’élection du Président de l’Assemblée Nationale, mais tout le monde a fait bouche fine,  quand un millier de cas de faux baccalauréats auraient été décelés récemment à l'Université de Bangui. Les auteurs de ces fraudes à qui on aurait proposé de passer le baccalauréat pour valider leurs diplômes d'Université, ont non seulement refusé la proposition mais en plus n'ont rien trouvé de mieux que d'attaquer l'Etat en justice au motif que l'Etat "aurait dû", en son temps" décelé les faux diplômes. Implicitement ou explicitement, nous avons eu l'impression que, parfois, parmi ceux qui critiquent, il doit y avoir des gens qui sont passés par ce chemin frauduleux. De même, beaucoup s'insurgent contre des nominations, qui à leurs yeux, semblent complaisantes ou relèvent du népotisme ou du carriérisme et pourtant, parmi eux, il est certain de trouver ceux qui sont nés avec la cuillère d’argent dans la bouche et savent bien qu’ils sont devenus ce qu’ils sont, grâce aux berceaux dorés dans lesquels ils sont nés. C'est comme d’autres aussi qui savent très bien qu’ils ont goûté, à une époque donnée, aux meilleurs fruits du pays par des moyens très peu « catholiques » mais la nature leur a tourné le dos.

C’est pourquoi,  la question qui devrait être mise en titre de mon billet, "c'est quoi la vraie rupture ?". Cette question peut être perçue comme un impératif moral, une manière de raviver une inquiétude éthique assoupie. Elle nous interpelle à une prise de conscience qui nous ferait comprendre que la « rupture » n’est pas l’affaire d’un seul individu, ni d’un régime, ni d’un système politique. C’est la remise en cause de l’expression de tout un système mis en place par  tout un peuple. Il s’agit de se dépouiller de cette mentalité qui consiste à penser que seul l’Etat doit tout faire et le peuple doit être là pour en bénéficier. Qui aime son pays, refuse tout geste calculateur.


Troisièmement, la vraie "rupture",  c'est d'être plus patriote qu'intellectuel.

 La société centrafricaine accouche de plus en plus de sujets prétendument instruits, mais de moins en moins de personnes éduquées dans la mesure où l’éducation englobe tous les domaines : intellectuelmoralspirituelculturel. Du coup, la responsabilité de l’élite intellectuelle dans le naufrage de la Centrafrique est grande. Comme l’a si bien souligné avec raison l’intellectuel congolais Dominique NGOIE-NGALLA : « …la descente aux enfers de bien des pays africains, sinon tous, a commencé avec l’arrivée au pouvoir d’une élite formée en Occident et ailleurs en Europe. Pour le salut de l’Afrique, on est tenté de penser que, l’indépendance octroyée ou arrachée de force, il eut mieux valu qu’on restât à tâtonner et à bricoler avec les politiques semi-analphabètes formés sur le tas sous la coloniale ! Chez beaucoup d’entre eux, en effet, cette droiture, ce sens proprement républicain du bien public et sa conséquence logique immédiate, ce dévouement et cet empressement à servir. Ils sont tous morts aujourd’hui : en tout cas, il ne reste d’eux qu’un petit nombre de survivants qui doivent regretter d’être encore en vie pour assister, impuissants, au désastre de leurs pays…. »(Semaine Africaine, n°3288, 7 Mai 2013, p.15). Et, lui de poursuivre : « L’Afrique possède, c’est vrai un nombre impressionnant d’hommes formés dans les domaines les plus divers qui déterminent l’entrée en modernité, une élite. Celle qui explique le décollage et l’essor des pays d’Asie, dont pour beaucoup d’entre eux, il y a encore moins d’un siècle, on aurait parlé qu’ils ne s’élèveraient jamais au niveau où on les voit aujourd’hui… Mais, la volonté de dépassement de soi comme principe d’organisation politique, l’effort pour transcender ses appétits égoïstes avaient-ils figuré comme pivot de la pensée et de l’action de ceux qui prirent le relais des pionniers de l’indépendance de l’Afrique ? ». Non. 

La situation sociale de la RCA ne serait pas tout à fait ce qu’elle est aujourd’hui, si les choses avaient été ainsi. Malheureusement, au lieu de quoi, on voit des gens sans expérience dans la gestion des affaires publiques et humaines, prétentieux, bardés de théories sur la construction du bonheur des centrafricains,  qui ont cette propension maladive à se livrer à des critiques subjectives, à tenir des discours utopiques frisant la démagogie.

Pourtant, il convient de rappeler que la question de la responsabilité citoyenne qui relève de la véritable « rupture » tant souhaitée, se situe à deux niveaux :

     - Il s’agit de s’unir, non pas à partir d'une ethnie à défendre, non pas à partir d’une conviction politique ou religieuse à prôner, mais d’une conscience d’être en dettes, c’est-à-dire bénéficiaire d’un don qu’on ne peut rembourser, mais qui permet de répondre, de se risquer en retour pour l’intérêt général.

     - Il s’agit de ne pas toujours voir l’espace politique  comme le seul lieu organisant la pauvreté et la misère du peuple centrafricain, nous sommes tous appelés à une prise de conscience collective et chacun doit faire une introspection. Comme l’a si bien dit Montesquieu : « la vertu d’un peuple, c’est la responsabilité des citoyens ».

La « rupture » ainsi définie, à qui la faute ? Aux politiques, répondent certains insatisfaits, aigris. A leurs yeux, c’est la politique  illisible des nouveaux dirigeants, à leur présumé népotisme, à leur prétendu divorce d'avec les peuples, à la lenteur imaginée  qu'ils s’imposent en ces temps de crise, aux choix d'une politique qui n'écarte pas ceux qui ont déjà servi dans la galaxie antérieure.

Certes. Mais n'est-il pas grand temps de renvoyer lesdits peuples à leur propre responsabilité ? Ne faudrait-il pas leur rappeler que la vraie « rupture », c’est aussi eux ? Ne voit-on pas qu'en les exonérant ainsi de toute coulpe on fait le jeu des démagogues ? Ne pourrait-on prendre tant soit peu au sérieux la définition de la « rupture » par Georges Sand  qui dit qu’« une rupture faite à la légère entraînera une nouvelle rupture ».

Pas si simple que ça de surmonter une "rupture". C'est souvent plus facile à dire qu'à faire... Heureusement, ce n'est pas impossible, il faut juste du temps et de la patience. Et, chacun doit s'y mettre pour la lutte contre l'incivisme, la corruption et les voies faciles du bien-être. 

 

Passi Keruma

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