LES COURS MAGISTRAUX : INDISCRÉTIONS OU RÉVÉLATIONS POLITIQUES ?

En Centrafrique, tout relève du tabou. Les gens sont habitués aux murmures, médisances ou ragots. Les « secrets » circulent souvent mains sur la bouche et personne ne doit se permettre d’en parler sur la place publique.  Car, la discrétion de chacun a le pouvoir de le protéger des menaces, mais aussi dans la réussite à adopter un comportement forçant le respect des autres et devenir ainsi un modèle pour l’entourage, un exemple suscitant l’admiration.  Ce comportement, qu’on pourrait associer au charisme politique.

En fait, la grandeur d’un homme politique en Centrafrique se juge à sa capacité d’influencer les autres, passivement à la force de ses qualités, même s’il est le pire personnage de sa société. C’est pourquoi, d’ailleurs, dans la société centrafricaine, divulguer le secret des autres n’est pas de la franchise, mais de l’indiscrétion qualifiée de mensonge.

C’est quoi l’indiscrétion ? L’indiscrétion est un manque de retenue dans nos paroles, qui nous fait dire des choses que nous devrions taire ; c’est une révélation d’une chose qui doit être tenue sécrète et cachée. L’ indiscret est souvent défini comme celui qui agit par passion, sans considérer ce qu’il dit ni ce qu’il fait et « étourdi ». L’image de l’indiscret est ainsi ternie par ses victimes.  Par conséquent, tout le monde se plaint  amèrement de l’indiscrétion, de l’audace, de la témérité de celui qui ose dire tout haut ce que pensent tout bas les autres.  Pourtant, il y a un adage qui dit : « si vous ne voulez pas que l’on sache, mieux vaut encore ne pas le faire ».

 Le Ministre Gouandjika Fidèle, considéré  d'indiscret,  semble avoir brisé ce tabou par ses cours magistraux livrés ces derniers temps sur les réseaux sociaux. Pour certains, ce sont des révélations qui leur font découvrir ce qui leur a été caché depuis des décennies dans le secret des dieux. Pour d’autres, ce sont des indiscrétions politiques dont l’intention est de les détourner de réels problèmes du pays. Selon ces derniers, il y a une manipulation politique.  Mais ce qui est de plus curieux, c’est qu’il n’y a eu aucun démenti formel pouvant remettre en cause toutes ces controverses. Au contraire, ce n’est que l'avalanche des insultes truffées de colère que reçoit Mr Gouandjika depuis quelques jours.

Que peut-on dire alors de ces cours magistraux suscitant différentes réactions ? Sont-elles des indiscrétions ou des révélations ?

On oublie  souvent que l’indiscrétion politique est toujours vue comme une révélation dans l’espace public. Les deux sont intimement liées. D’ailleurs, depuis l’arrivée d’appareils d’enregistrement de plus en plus discrets et de plus en plus performants, il est plus facile d’enregistrer des moments privés et embarrassants des hommes politiques et les diffuser publiquement. Par exemple, les enregistrements effectués par Patrick Buisson, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, et publiés le 05 mars 2014 par le site canard enchaîné ne sont que l’un des exemples parmi tant d’autres devenu partie intégrante de la vie politique dans beaucoup de pays. Un autre cas s’est passé aux Etats-Unis en septembre 2012 : Mitt Romney était sur la sellette après la diffusion d’une vidéo prise à son insu sur laquelle on voyait le candidat Républicain décrire la moitié des Américains, ceux qui votent pour Barack Obama, comme des « gens qui ne payent pas l’impôt sur le revenu » et « qui dépendent du gouvernement ». Obama se fera finalement réélire.

Dans d’autres pays,  certains hommes politiques ont eu à avoir fait l’objet de procédures judiciaires suite à des enregistrements de conversations privées et compromettantes à leur insu. C'est dire que les scandales politiques résultent assez souvent des indiscrétions. Il est également à retenir que l’indiscrétion est une arme politique assez efficace.

C'est pourquoi, l'on peut comparer le milieu politique au roman d'Agatha Christie : "Les dix petits nègres". Dans ce roman, il y a dix personnages qui  ne se connaissent ni d'Eve ni d'Adam, invités à vivre sur une île, et qui sont mystérieusement assassinés les uns après les autres, sans savoir qui tue qui. Le fin mot de l'histoire est donné par une lettre de confession retrouvée peu après, écrite par l'un des personnages, le juge Wargrave, qui avoue avoir simulé sa propre mort et tué toute la compagnie par amour pour la justice. Son mobile était de punir des gens qui n'avait pas répondu de leurs actes, tout en commettant une série de meurtres grandiose, dont la police ne trouverait jamais le coupable. Voilà une histoire qui relève de science-fiction mais qui pourrait étayer nos réflexions sur ce qui est de la vie politique. 

Qu’en est-il donc des sorties controversées du Ministre Gouandjika Fidèle ? Elles sont méthodiques,  révélatrices et peut-être indiscrètes. Mais, peu importe.  Car, le peuple semble avoir vécu pendant très longtemps dans l’obscurantisme du pouvoir de différents régimes, ignorant les véritables causes de tout ce qu’il a vécu à travers les différentes crises qu’a connues  le pays. Ce peuple a soif de savoir comment il a été gouverné. Peu importe que cela génère des fantasmes et spéculations de tous bords. Sur ce point, la sortie de Mr Gouandjika Fidèle est un mal nécessaire pour le peuple. L'on peut ainsi comprendre l'engouement que cela suscite en ceux qui lui jettent des fleurs. 

In fine, comment ne pas donner raison à Victor Hugo qui affirmait que : « Regarder le ciel dans le télescope, c’est une indiscrétion ».

Passi Keruma